25 juin 2014

SEAN HART : de l'art des langages (2/2)

J'ai présenté Sean ici lors de mon interview croisée entre son ami cinéaste congolais et lui-même. Allez-y jeter un oeil avant de lire cette interview. Ce qui suit est un petit focus sur Sean, son travail, son parcours, puisque son oeuvre s'expose un peu partout dans le monde, et en particulier dans le métro parisien depuis l'an dernier.

Sean quels sont tes projets actuellement ?

Sean : Je bosse avec JR et avec une compagnie de théâtre avec laquelle je fais la scéno (Lézard Dramatique) - on travaille beaucoup au Congo et au Brésil ensemble. Lorsque je bosse avec eux, je reste sur place ensuite un mois pour faire mon boulot de peinture dehors, ou des courts métrages. En ce moment je me concentre plus sur un film que j’ai envie de faire sur le langage, et autant la danse que le langage des sourds. J’utilise beaucoup de krumpers. Tu vois ce que c’est le krump ?


«Yes Future!» 13/10/11 - Barcelona - Spain.

Le Krump... heu vaguement.


Sean : T’as vu Rize de David Lachapelle ? C’est un mélange de danse néo-hip hop avec de la danse traditionnelle africaine. C’est souvent très figé, ils sont sur place, pas beaucoup de déplacements au sol. Ils sont debout, font des mouvements très très rapides, t’as l’impression qu’ils se boxent avec eux-mêmes. Et donc je vais à Shanghai je voulais trouver des krumpers mais je n’en ai pas trouvé. En revanche, j’ai trouvé un punk que j’ai filmé à capella en train de chanter son texte en chinois. En réalité c’est plus une galerie-portraits de gens tout autour du monde, je ne me donne aucune limite. Tous, liés par la danse et le langage. L’idée c’est, comme le disait Angela Davis «Walls turned sideways are bridges» ce qui veut dire, que «les murs renversés deviennent des ponts». C’est tout à fait ça, construire des liens entre les gens, les cultures. En gros voilà, c’est partage de connaissances, partage de contacts... En wolof, ils disent «niocoboc» "NIO KO BOKK!" ce qui veut dire «on est ensemble». C’est une chose à laquelle je tiens parce qu’il y a trop d’artistes qui marchent et qui ne s’en servent pas. Comme le hip-hop à la base, dès qu’il y en avait un qui marchait, il se servait de son argent pour produire d’autres groupes ou chanteurs. Ca fait partie d’un mouvement qui s’est perdu, je trouve. La démarche n’est pas suffisamment collective. Et on oublie vite que quand on fait de l’art à la base c’est pour un certain mode de vie, dont le partage est la clé de voute. Je le fais à mon niveau, mais je n’ai pas les moyens pour produire pour l’instant, mais bon c’est en bonne voie !


«Street Publication» Dakar, 2014.

Comment as-tu commencé la typo ?

Sean : En 2011 je suis allé à Rio invité par la compagnie de théâtre. J’y suis resté 4 mois et quand je suis arrivé là bas je me suis dit qu’il était temps de reprendre mon travail, carré, attractif, tout en simplifiant la communication du message, qui lui, reste le même. Donc j’ai choisi d’utiliser une typo très simple, très pub, une typo que j’ai dessiné entièrement, et qui s’appelle MYDRIASIS, ce qui correspond au phénomène de dilatation des pupilles quand tu es dans le noir par exemple. C’est aussi quand tu es foncedé, ou quand tu es séduit. J’ai trouvé ce nom plus tard, dans les grottes à Belle-Île-En-Mer où je suis allé pour peindre la série en bleu. Ensuite, j’ai créé un système de pochoirs inversés, j’ai mes deux pochoirs de lettres inversées, l’un 133cm l’autre 96cm. Et comment je fonctionne ? Je me balade beaucoup, je repère des lieux et des murs, je les mesure, je fais une photo du résultat final que je voudrais avoir avec le texte, le cadrage en fait, avec ambiance du jour et de la nuit, je prends l’heure du jour pour évaluer les ombres tout ça, et après sur ordinateur je vois quel texte je peux caler avec mes deux tailles d’alphabet.  


«Yes Future!» Spring 2011 - Rio de Janeiro - Brazil.

Tu as déjà utilisé deux fois le même texte ?

Sean : Non à chaque fois c’est un texte différent. Le texte fait très publicité, slogan, mais il est écrit une seule fois. Alors que le slogan, par définition va être répété à outrance. Au final, ce qui importe, c’est la photo. Quand je la prends, je fais en sorte qu’il n’y ait personne dessus. Comme si c’était hors du temps et que le point de vue de la photo était le point de vue du passant. L’oeuvre en tant que telle dans la rue, existe aussi pour le spectateur qui passe. La grosse différence, c’est que la photo a une ambiance que j’ai choisie. En fonction de l’heure à laquelle je la prends, elle transmet autre chose que si un passant découvre le texte dans la nuit. C’est mon regard à moi aussi que je transmets finalement, et comme cela je garde une trace qui me permet de présenter ensuite mon travail. Par exemple, quand je suis allé à Dakar, j’avais une liste de textes, mais entre temps j’ai découvert tout un tas d’expressions locales et j’avais vraiment envie de les écrire. C’était pas prévu, mais au final c’était plus intéressant. J’écris beaucoup dans la langue du pays. En Afrique du Sud, j’ai écrit du Shakespeare pas forcément hyper connu, mais écrit dans leur langue. Et ça touche énormément les gens qu’on s’adresse à eux dans leur langue. C’est comme si tu allais en Bretagne et que la publicité là bas serait écrite en breton. Ca n’existe pas, c’est en français. Le langage fait entièrement parti de l’enracinement et de l’identité des gens, et le fait de faire l’effort de communiquer dans leur langue, les fait porter un autre regard sur l’oeuvre. 



«Greetings from Jozi» Bezuidenhout Street & Durban Road – Yeoville.Johannesburg – S.A

Une de tes dernières séries, celle du métro parisien, «do not litter» est des plus réussies.
Sean : Ma base reste Paris. Et le métro, c’est un peu un rêve de gosse. Je me souviens des tags à la station Rivoli. Je suis pas train de faire une lutte contre la publicité, mais j’aime bien l’idée de prendre les espaces que les gens ont payé pour susciter une réflexion. Ce qui serait cool, c’est qu’il n’y ait plus de pub du tout dans le métro, mais uniquement de l’art, des choses abstraites, du texte... Je voulais faire ça depuis longtemps mais je ne savais pas comment m’y prendre parce que je ne voulais pas me faire arrêter. J’ai trouvé la solution mais je préfère ne pas en parler ici.



«do not litter», métropolitain parisien.

Et tu sais si tes affiches sont restées un peu, ou si elles ont toutes été recouvertes rapidement ?

Sean : Elles sont restées minimum 1 semaine et jusqu’à 3 semaines. 

Le fait que ce soit une typo pub fait aussi que les gens remarquent moins que c’est pas sensé être là, non ?

Sean : Le titre de la série c’est «ne pas jeter sur la voie publique» c’est ce qu’on est obligés d’écrire sur les tracts qu’on distribue dans la rue en petits formats pour se dédouaner s’ils trainent sur l’espace public. Donc l’idée c’était aussi de dire, voilà ces affiches, finalement ce n’est pas forcément moi qui les ai mises là. J’ai utilisé le noir et blanc aussi, parce que c’est interdit dans la pub. Le noir et blanc est réservé aux Pouvoirs Publics. Dans la pub, ils sont obligés d’ajouter au moins une couleur.T’es obligé d’écrire en Français, là c’est en français parce qu’on est en France.  

Et donc, comment espères tu que les utilisateurs du métro réagissent ?

Sean : J’essaie que ce soit de l’ordre du slogan pour qu’ils puissent lire vite. J’essaie aussi d’avoir une dimension poétique et politique, tout en laissant la porte ouverte à ce qu’ils veulent. Ma signature est ma typo, parce que si je signais, tout de suite ça ferait un logo et donc ça deviendrait de la pub. Ce qui est intéressant, c’est qu’avec le temps, les gens finissent par reconnaitre que c’est moi et c’est exactement ce que je voulais dès le départ.

Ca rejoint un peu ce que dit RERO sur sa typo. Sauf que lui c’est du VERDANA.

Sean : Oui mais Rero il est vachement plus concept que moi. Il doit avoir tout un discours par rapport à ça. Ma typo est assez neutre et je suis convaincu que la forme n’est pas intéressante. Tu peux avoir des typos qui influencent la façon dont tu vas lire le texte, de manière plus ou moins légère. Comme par exemple Comic Sans MS qui donne une connotation au texte. Ce qui m’avait halluciné c’est quand Rohff avait fait des affiches avec son nom en Comic Sans MS. J’étais mort de rire. La typo, c’est de la forme mais ça influe sur la façon dont tu lis le texte. Ce qui est intéressant quand tu peints dans la rue, en journée, 9 mètres par 3 au pinceau parce que j’aime bien me prendre la tête, pendant 5 heures, c’est que les passants pensent que je suis payé pour faire ça. Que je suis un ouvrier et que je peints de la publicité. Et ça, ça me permet plein de libertés : les flics passent et ne captent rien. Et comme c’est propre aussi, tout le monde peut le lire. J’aime bien l’idée que ce ne soit pas codé. Il y a des codes, mais ils sont plus accessibles que le graffiti. D’ailleurs en général dans le graffiti, les artistes n’écrivent pas de textes, ce n’est pas leur problème. Ils écrivent leur nom, et après il faut décoder. Tandis que ma base à moi, c’est le texte. 


«Doors» “48° 50’ 18.63” N 2° 22’ 19.38’ E”

Tu dis que les graffeurs sont-ils plus dans une démarche narcissique que ceux qui font de la typo dans rue ?

Sean : J’aime bien l’idée de ne pas être seul à bosser sur une oeuvre, comme pour OBEY, de laisser d’autres personnes faire mes peintures. Je peux toujours le mettre en place, afin de rester plus anonyme, qu’un groupe d’artistes utilisent ma typo Mydriasis un peu partout dans le monde. C’est assez simple aujourd’hui car on est dans un monde de l’image, tu peux paraitre plus fort que tu ne l’es. JR par exemple, regrette de ne pas être plus anonyme. Tu vois, par exemple, Banksy personne n’a jamais vu sa gueule. Et comment le mec il fait pour aller à des vernissages et tout ça ? Forcément t’es un groupe et il y a des gens qui s’occupent de ton business. Ca c’est intéressant aujourd’hui, car tout est image. Les auto-portraits existent depuis tout temps, mais maintenant il y a un mode de communication via les mobiles qui rendent tout ça instantané et on l’appelle «selfie». Ce ne sont pas des auto-portraits, c’est assez pauvre, superficiel, narcissique. Et donc, rester anonyme c’est beaucoup de travail mais c’est aussi une manière de lutter contre le star-system. 


«Selfportrait» 00'02'08, 2010, Paris, France.

La série bleue, et en particulier «Permanent Drift» est une immersion assez saisissante de ton monde artistique, je trouve.

Sean : Le projet à Belle-Île-En-Mer ! C’était la première fois que je faisais de l’anamorphose de manière aboutie. J’étais là bas en vacance en 2007, j’ai un peu visité les grottes et les bunkers. Au début je voulais faire un film mais à l’époque je n’avais pas le matériel qui me permettait de filmer dans l’obscurité, donc j’ai fait des photos. J’étais tout seul, il fallait un personnage principal qui était donc moi. L’histoire est en référence au mythe de la caverne. Les photos se répondent, tu peux créer des fenêtres, faire des allers-retours pour  que ce soit plus clair. Je suis à poil dans les grottes, il y a aussi des photos avec des sous-titres pour rappeler aussi la vidéo. C’est un monologue intérieur. J’ai utilisé beaucoup de textes d’auteurs : des phrases extraites des films de Tarkovski, des phrases inspirées d’autres réalisateurs... On passe du point de vue subjectif à objectif. Et tous les textes apparaissent en anamorphose, comme des chapitres. C’est une période où je n’allais pas très bien haha ! C’est une réflexion sur le temps, intérieur et extérieur, c’est une introspection.




Extraits de «Permanent Drift», A PHOTO-ROMAN WRITTEN AND DIRECTED BY SEAN HART / JUNE 2012 / BELLE ILE EN MER. FRANCE 


Plus : 


Sean Hart : http://seanhart.org 

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