10 févr. 2016

Les hypersensibles sont-ils des casse-couilles comme les autres ?

Lorsque deux personnes cool se rencontrent pour la première fois, les deux parties sont contentes d'elles et ravies de montrer à l'autre à quel point elles sont respectivement cool. La plupart du temps, cela donne une bonne ambiance chaleureuse et les rapports humains sont simples, sur base de franche rigolade, charcutaille et ambiance vinassée des plus plaisante.

En apparence, tout est cool, donc. On se marre, on est entouré, on a des potes pour picoler, des potes pour papoter, des potes pour... avoir des potes. Le plus important étant l'aspect global de notre vie sociale, on se soucie peu finalement de si nos potes vont mal, ou s'ils nous aiment vraiment. D'ailleurs, on ne les aime pas vraiment non plus. On les aime pour ce qu'ils nous apportent : "je ne lui demande rien de plus que de me faire marrer", dira untel. Et de riposter "ce pote, je le prends comme il est", sous entendu : "les aspects négatifs de sa personnalité, je m'en care le fion, jusqu'à ce que ça me fasse chier ou que ça devienne lourd. Là, je prends mes distances."

Si vous vous reconnaissez dans ces deux premiers paragraphes, vous êtes certainement cool et bienheureux, avec une vie sociale des plus épanouie. Je suis contente pour vous mais en fait, ici, je m'adresse aux pas-cools, aux sensibles, à ceux qui flippent du jugement d'autrui, qui pleurent à la vue d'un geste de travers, qui ne supportent pas les colocs, et qui se portent pas plus mal entourés d'arbres au fin fond du Vercors qu'à une crêpe party avec des gens pas si intimes pour être aimables. Je m'adresse à ceux qui vous saoulent parce qu'ils ne sont pas tout le temps avec la banane, ou parce qu'ils prennent la mouche et vous ne comprenez pas pourquoi. Je m'adresse à votre pote qui n'a pas d'humour, celui qui ne veut jamais sortir sauf en petit comité, celui qui vous colle et vous harcèle, celui qui n'a pas pleuré à l'enterrement de grand papy mais qui chiale au cinéma. Bref, je parle des hypersensibles de tout bord. Aux chialeuses, aux romantiques, aux paranos, à ceux qui pensent trop, à ceux qui se prennent la tête, à ceux qui interprètent tout, à ceux qui vous cassent les couilles mais que vous aimez quand même parce qu'ils ont un truc en plus que vous ne savez pas trop définir... impalpable... un truc assez rare... ils sont putain d'authentiques et vous savez qu'avec eux, ya pas anguille sous roche, et ça, ça, ça vaut toute la relouterie qu'ils vous font subir parce que ça, vous savez que vous l'avez pas chez les autres. Alors qui sont-ils ? Quels sont leurs différents aspects ? Sont-ils supérieurs à vous intellectuellement et émotionnellement, ou juste une autre forme de casse couille ?

L'hypersensible au bureau

Pour l'hypersensible, tout est beaucoup plus complexe. Mais aussi, beaucoup plus vivant. La vie en openspace est du niveau du supplice quotidien quand pour lui openspace = envahissement de son espace vital. Comme il ne peut s'empêcher d'analyser  tous les stimuli qui arrivent jusqu'à lui (le collègue qui lui répond à peine, la personne qui ne lui demande jamais de venir en pause café avec lui mais qui le fait avec son voisin, le mec qui met de la musique, la meuf qui rit trop fort...), le travail en openspace devient source d'épuisement et de stress. Quand vous, vous ignorez tout cela, lui, non seulement le perçoit mais gamberge sévère : ça veut dire qu'il m'apprécie moins que mon voisin, etc.... Il capote pour un rien parce que justement, il est déjà au bout du bout de ce qu'il peut endurer. Il exprime, entre autres, sa colère très facilement. Parce que notre société essaie de reléguer les émotions aux abimes de l'enfer, comme un démon qu'il faudrait combattre tant il réfère à de la faiblesse dans ce monde où la force est justement ne plus en avoir. Je sais pas vous, mais ça me casse les couilles. J'en ai ras le baba d'entendre en réunion professionnelle sur le développement du leadership comment gérer nos émotions (les effacer) et entendre Gontrand se plaindre d'un collaborateur qui oscille constamment avec des émotions et que lui ça ne lui plait pas du tout. D'ailleurs, il dira très fièrement : "moi je fais l'effort de laisser mes émotions au vestiaire, par RESPECT pour mes collègues". Bah voyons. Mec, tu n'es pas encore un robot donc va falloir te calmer sur tes envies de nier un aspect entier de l'essence de ce que tu es : humain. C'est pas pas parce que t'es au bureau que tout ça n'existe plus. Ouais, il faut gérer des gens, le budget, les ventes, les clients, la politique. Mais bordel, tout ceci peut-il se faire avec un minimum d'humanité ? Oui ? Non ? Avec 20% d'hypersensibles on peut dire qu'il est aberrant de nier les émotions dans les rapports personnels et interpersonnels. Nier aussi leur expression est une hérésie. VIVE LES EMOTIONS, LES FLOTS DE LARME, LES JOIES INTENSES, LES COLERES, VIVE LES CASSE COUILLE, oui, ils vous rendent vivants bande de trous du cul gercés ! Dira-t-il avant de claquer la porte de son onzième employeur en 3 ans.

L'hypersensible en amitié

C'est là que l'hypersensibilité d'un individu est le plus à vif, en amitié. Parce que justement il s'attache à ce que pensent les gens de lui, et que pour lui, les gens qu'il aime sont au centre de ses préoccupations. En étant amis avec un hypersensible, vous savez qu'il l'est et vous l'aimez aussi pour ça. Ou alors, vous ne l'aimez pas vraiment et il vous casse juste les couilles. Il a tendance à être exclusif, parce que c'est plus facile de dealer avec une personne qu'un groupe entier. Les signaux sont vite débordants dans un groupe et son instinct naturel sera celui de l'évitement. Ne vous méprenez pas pour autant, il rêverait de pouvoir faire comme vous, de multiplier les amitiés, et d'avoir UNE BANDE DE POTES. Mais pour lui, c'est physiquement, mentalement, psychiquement, impossible. Ou alors, sur le court terme. Genre une soirée. Ou deux. Au delà, les soirées intenses l'épuisent et croyez le ou non, c'est avec un coeur gros comme une patate et beaucoup de culpabilité qu'il déclinera les suivantes invitations, se sentant comme une grosse merde qui est stressé par les soirées entre amis, non mais bordel, comment est-ce possible ? Quand une personne normalement sensible rentre dans une pièce où se déroule une soirée, il constate plusieurs personnes qui parlent et s'avance naturellement vers le groupe qui l'attire pour discuter. Quand un hypersensible arrive en soirée il voit un groupe de personne qui de part son langage corporel ne semble pas enclin à lui parler, un groupe d'ami très soudés dans lequel il sera difficile de s'imposer, une personne de très mauvaise humeur, un groupe de gens qui ont peut de vivre/mourir et qui se noient dans l'alcool, une personne qui le jalouse, une personne qui semble lui envoyer des signaux "je t'apprécie hello !". Ah ouf, il ira donc vers cette personne. Vous voilà son ami. En tant qu'ami vous serez aussi confronté à ses sautes d'humeur et ses réactions disproportionnées. Vous vous direz qu'il est casse couille, ou susceptible, ou buté, ou les trois. L'hypersensible lui se dira que vous pensez de lui qu'il est casse couille, ou susceptible, ou buté, ou les trois à la fois et que c'est injuste car en fait tout ce qu'il a fait c'est réagir à un propos qu'il a jugé blessant, qui lui a fait mal ou qui l'a touché dans un endroit hypersensible de son être. Il sait que sa réaction est disproportionnée mais il aimerait tant que voyiez à travers ses yeux. Il sera triste que vous ne compreniez pas ses états d'âmes et que vous ayez mal interprété sa réaction, il sera en colère que vous lui prêtiez de mauvaises intentions là où il ne s'agit que d'émotions qui existent pour lui mais pas pour vous. Enfin, il aura peur de perdre votre amour, votre amitié, votre considération, votre respect, et préfèrera se terrer dans un trou plutôt que de se confronter au rejet, partant du principe que de toute façon vous ne l'aimez plus, vous le jugez mal, ça lui fait mal, c'est fini, un ami de perdu.

L'hypersensible en amour

Loin des clichés, l'hypersensible n'est pas forcément un grand romantique. N'oubliez pas qu'il est angoissé, par tout, tout le temps. Il sur-interprète son environnement et ses rapports sociaux de manière totalement involontaire mais bien réelle. Ce qui en résulte ? Quelqu'un de fatigué, irritable, vite débordé et vite envahi. Quelqu'un qui doute constamment. En amour, les sentiments sont pour autant puissants. Il aime inconditionnellement et attend souvent la même chose en retour. Votre amoureuse qui interprète vos moindre gestes, n'est pas forcément une hypersensible. Elle est peut-être juste casse couille. Une amoureuse hypersensible ne va trop rien dire sur le moment parce qu'elle a peur de vous perdre. Elle va garder pour elle beaucoup de frustrations et de questions restées en suspend, beaucoup d'observations analysées et sur-investies d'une analyse de cette analyse, suivie d'une analyse d'elle-même qui analyse. Vous suivez ? On va faire un exemple.

Observation : il a retiré sa main de la mienne.
Analyse : il a retiré sa main parce qu'il ne ressent pas le besoin de tenir ma main.
Analyse de l'analyse : il ne ressent pas ce besoin parce qu'il ressent peut-être moins d'amour pour moi, ou parce qu'il est préoccupé. Pourquoi est-il préoccupé ? Est-ce à cause de moi ? du travail ? Qu'a-t-il déjà dit au sujet de son travail ? Y a-t-il d'autres signes qui prouvent qu'il m'aime moins ? Puis-je me baser sur un seul geste ? Et si c'était le hasard ?
Auto analyse de l'analyseur : Est-ce que je suis parano ? Pourquoi je me pose ces questions ? Qu'est-ce que je crains ? Est-ce que je l'aime ? Et s'il ne m'aimait plus qu'est-ce que cela engendre chez moi ? Ai-je raison de me focaliser sur cette main ? Devrais-je au contraire lui reprendre ou le laisser tranquille ? Si je lui montre mes craintes va-t-il comprendre ? Puis-je lui en parler ? Vais-je pleurer ? Pourquoi suis-je comme ça ? Voit-il que cela me préoccupe ?

Et ainsi de suite. Vous imaginez le bordel maintenant ? C'est pas juste une casse couille qui manque de confiance en elle et qui a peur du rejet, c'est une putain de casse couille intello. Un moteur de recherche en mode shuffle. Un enfant laissé à l'abandon dans le deepweb. Un fantôme qui erre dans les limbes du vide pour l'éternité. C'est un putain de mécanisme en arborescence qui se met en place en même temps qu'elle vous fait à bouffer ou l'amour. Et si cette personne que vous aimez (oui parce que la main c'était JUSTE pas fait exprès, en fait, vous ne vous en souvenez même pas), vous chie une pendule parce que une semaine plus tard vous lui tournez le dos dans le lit, ne vous étonnez pas de la voir partir en live et se rouler par terre en passant par plusieurs phases (reproche - compréhension - culpabilité), et prenez la dans vos putains de bras, et fermez bien votre gueule. Oui, fermez là. Juste faites lui un câlin, parce que ce n'est pas une casse couille.

L'hypersensible dans la vie de tous les jours

Essayons maintenant de nous mettre dans la peau de cet ami pas cool. Enfin, pas aussi cool que vous. Cela va être dur parce que c'est une gymnastique que vous n'avez pas l'habitude de faire. Pour la plupart des gens, vous n'essayez pas de rentrer "à la place de" pour comprendre. Vous essayez de comprendre l'autre de manière plus intellectuelle. Vous vous basez sur vos propres conclusions de la vie et les appliquez aux autres. Par exemple, vous vous dites "tiens cette personne me fait la gueule" et vous concluez "je ne sais pas pourquoi donc soit ce n'est pas contre moi, soit j'attends qu'elle revienne vers moi pour m'expliquer, et tant pis je ne ferai pas d'effort pour comprendre". Oui, je sais, ça vous fait passer pour des débiles. Mais non, réfléchissez bien et vous verrez que souvent les gens réagissent comme cela. Quand une personne est vexée, elle en parle rarement directement avec le principal concerné et préfèrera se plaindre aux autres. Quand une personne attend quelque chose de quelqu'un il attendra et tirera un trait sur la relation si cela ne vient pas et la relation passera à un stade inférieur sans pour autant engendrer de conflit. D'un commun accord, les deux personnes savent à quel niveau de relation elles sont. Très bien. Dans la vie de tous les jours, l'hypersensible de met à la place de. Tout le temps, constamment. Même des gens qu'elle ne connait pas, même des gens qu'elle n'aime pas. Cela lui procure souvent une impression de comprendre le monde mieux que quiconque, mais d'en même temps d'être la seule à le voir, donc de rester incomprise. L'hypersensible est doué d'empathie. L'empathie ce n'est pas pleurer avec la personne qui pleure, ou envoyer un texto pour montrer son amitié quand une personne va mal. L'empathie de l'hypersensible, c'est comprendre réellement ce que vous traversez, ressentez, vivez, comment vous voyez le monde et pourquoi vos choix sont vos choix. Il comprend (mais n'excuse pas) les actes les plus odieux de l'humain car souvent il en est arrivé à la conclusion que l'humain est ainsi fait et que n'importe qui avec le même contexte peut arriver à commettre les même actes. Il comprend qu'on devient qui on est non pas par caractère mais suite à un ensemble de facteurs prédéterminants et qu'en inverser un ou deux, vous ferait devenir votre pire ennemi. Il comprend que deux personnes ne se disent pas ce qu'il faudrait dire pour améliorer leur vie, il comprend que cette personne n'est pas honnête avec celle ci et que cette autre joue un rôle que personne ne voit. Il comprend quand on lui prête de mauvaises intentions et de bonne intentions, même si ces personnes se disent ses amis. Il ressent la peur de vivre des gens, qui est incompréhensible pour lui. Il évite d'ailleurs les esprits noirs et ambivalents, ceux qui ont peur de mourir et donc de vivre et qui se tuent à petit feu dans l'addiction ou l'extraversion à outrance. Il se méfie de ces personnes qui ont peut de se retrouver face à elles mêmes et qui ne peuvent rester seules, parce que justement, pour l'hypersensible, c'est absolument tout l'inverse. Il se méfie des gens qui angoissent à l'idée de mourir, qui angoissent à l'idée de se retrouver seuls, qui angoissent à l'idée de souffrir. Il aime la vie, et n'a pas peur de la mort car cela va ensemble. Il aime l'amour et n'a pas peur de s'engager car cela va ensemble. Il vit intensément, aime intensément, vous fait chier intensément. Mais bordel, apprenez à les voir autrement, à développer votre propre sensibilité, essayez un tout petit peu et nous cassez pas les couilles.






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